Ce poème relate une joute entre Thor et Odin, se
dernier apparaissant sous le déguisement, comme à son habitude, sous
les traits de Harbarth le passeur.
Toute la symbolique de cette discussion a favorisé
l'aspect chaotique et sibyllin du texte, Odin se prêtant à ces
confusions. Enfin, certains auteurs y voient là la confrontation
entre la classe des Guerriers (Odin) et celle des Paysans (Thor)
mais c'est incertain…
Le Harbarthsljoth est trouvé dans sa version
intégrale dans le Codex Regius où il suit le voyage de Skirnir.
Cette Saga est bien différente des autres textes dans
sa construction de phrases. Le Malahattr étant le style usité des
textes de cette époque, le Harbarthsljoth en utilise la forme mais
dans une liberté plutôt inhabituelle. De plus le texte est
multiforme.
Il faut malheureusement y voir sans doute une
altération poétique des différents auteurs ce qui rend le texte
parfois peu harmonieux. Ce chaos littéraire rend la construction des
vers aléatoires ainsi que leurs formes ou leur enchaînements…
On le date d'ailleurs du XIe siècle car il semble que
ses diverses interprétations aient pris du temps pour en livrer une
forme plutôt correcte.
La Saga
Thor était sur le chemin du retour d'un lointain voyage plus à l'Est
quand il fut alerté par un bruit. Le son avait résonné de l'autre
rive de la rivière qu'il longeait où était embarqué un Passeur dans
sa barque.
Thor l'interpella :
1
Qui est donc ce compagnon là-bas sur la lointaine rive d'où le glas
a résonné ?
2 (Le passeur)
Quelle sorte de paysan là-bas braille ainsi au-delà des eaux ?
3 (Thor)
Embarquez-moi sur l'autre rive, je vous préparerai le déjeuner du
matin en pour ;
Un panier je porte au dos, et il contient la meilleure des
nourritures ;
Moi j'ai déjà mangé à satiété de la demeure d'où je suis parti,
Et me voilà chargé abondamment d'harengs et porridges.
4 (Le passeur sinistre)
De vos exploits matinaux vous êtes fier mais de l'avenir vous ne
savez rien ;
Lugubre est désormais la Halle du retour, votre mère, je pense, y
étant morte !
5 (Thor effondré)
Ce que vous venez de dire maintenant est certainement pour tous
La plus grande des peines de savoir ainsi sa mère morte.
6 (Le passeur change de propos)
Les trois bâtiments d'une ferme vous ne semblez même pas, je pense,
posséder ;
Vous êtes là nus pieds portant des habits de mendiants,
Sans même avoir le moindre outils !
7 (Thor se reprend)
Naviguez-moi par barque jusqu'à rejoindre la terre que je vous
désignerai ;
Mais quel est donc l'armateur à qui vous gardez le bateau sur ce
rivage ?
8 (Le passeur)
C'est Hildolf qui me l'a offert,
Un héros plein de sagesse ; Sa Halle se tient au glas de Rathsey.
Il m'a en retour demandé de ne pas y mener brigands ou voleurs de
chevaux,
Mais seulement les hommes dignes et ceux auxquels je prête
confiance.
Dites-moi votre nom pour mériter le passage jusqu'à ce glas.
9 (Thor s'y emploie)
Mon nom en effet je vous dirais, bien que je sois ici en danger,
Ainsi que mon lignage ; Je suis le fils d'Odin,
Le frère de Meili et le père de Magni,
Le plus puissant des Dieux ; Avec Thor vous parlerez désormais
Et maintenant je vous demanderais à mon tour votre propre nom !
10 (Le passeur rend la politesse)
Je me nomme Harbarth, et rarement je dissimule mon nom.
11 (Thor intrigué)
Pourquoi devriez-vous dissimuler votre nom si on ne vous cherche
point querelle ?
12 (Harbarth amusé)
Mais des disputes j'en ai eu, telle la nôtre
Qui n'en est pas la moindre, et je dois préserver ma vie,
Jusqu'à ce que mon sort soit funestement décrété.
13 (Thor agacé)
De grands troubles adviendront si je dois vous rejoindre
En pataugeant à travers les eaux et mouillez ma personne ;
Au misérable je ferais payer les railleries
Si je parviens jusqu'au glas !
14 (Harbarth théâtral)
Ici je me tiendrais vous attendant alors ;
Vous ne trouverez pas d'Homme plus féroce depuis la mort de Hrungnir
!
15 (Thor sans peurs)
Je serai trop heureux de vous narrer comment j'ai combattu Hrungnir,
L'Hautain-Géant dont la pierre était faite de pierre ;
Je l'ai alors fait chuté et il s'est étalé devant moi.
Alors Harbarth, que faisiez-vous donc pendant ce fait d'arme ?
16 (Harbarth fier)
Cinq pleins hivers j'ai passé avec Fjolvar
Demeurant sur l'île que l'on nomme Algrön ;
Nous avons pu combattre et faire chuter bien des tueurs,
Beaucoup nous cherchant querelles ; Enfin nous avons pu conquérir de
nombreuses Vierges.
17 (Thor intéressé)
Comment vous vous y êtes donc pris avec ces femmes ?
18 (Harbarth de nouveau amusé)*
Pleines de vies ces femmes seraient pour nous si elles étaient sages
;
Pleines de sagesse ces femmes seraient pour nous si elles se
trouvaient être ainsi ;
Sinon comme des cordes de sable elles onduleraient sous le vent
Où creuseraient jusqu'aux abysses de la plus profonde des vallées.
Plus sage que tous je suis de conseils au Thing,
Et je pus convaincre de m'allonger entre ces sept sœurs.
De chacune alors j'obtins les grâces de grands plaisirs !
Alors Thor, que faisiez-vous donc pendant ce doux moment ?
19 (Thor ne s'en laisse pas compter)
J'ai fait chuté Thjazi, le féroce Géant,
Et j'ai projeté les yeux du fils d'Alvadi
Dans les cieux lumineux au-dessus ;
De mes œuvres, ce fait en est le plus haut,
Chaque Homme pouvant depuis en voir les marques célestes.
Alors Harbarth, que faisiez-vous donc pendant cet exploit ?
20 (Harbarth renchérit)
Moult sortilèges de charmes j'ai appris de celles chevauchant par
nuit,
Les envoûtant moi-même en les volant à leur mari ;
Je me rappelais également d'Hlebarth, un Géant brutal :
Son bâton enchanté il m'offrit comme un don,
Et avec je lui fis perdre ses esprits !
21 (Thor renfrogné)
Récompensez-vous donc toujours ce qu'on vous offre par de tels
maléfices ?
22 (Harbarth amoral)
Le chêne prend sa force sur les copeaux d'un autre ;
En cela chacun doit se fier pour sa bonne Fortune !
Alors Thor, que faisiez-vous donc pendant ces subterfuges ?
23 (Thor plus noble)
Vers l'Est je suis allé, repoussant du monde des Géants
Leurs maudites femmes alors en sortant des montagnes ;
Et en grande masse seraient venus ces monstres si tous étaient
encore vivants :
Aucun Homme ne vivrait plus sur les terres de Midgard !
Alors Harbarth, que faisiez-vous donc pendant cette bataille ?
24 (Harbarth toujours cruel)
A Valland j'étais et les Guerres j'ai provoqué,
Les Princes j'ai irrité et jamais n'ai apporté la Paix ;
Les nobles qui meurent au combat sont alors pour Odin
Et la race des Thralls pour Thor !
25 (Thor révulsé)
Alors vous offrez bien injustement le sacrifice de ces Hommes aux
Dieux,
Du moins si d'un tel pouvoir vous êtes pourvu !
26 (Harbarth le mauvais se moque)*
Thor a certes une grande puissance mais point de courage ;
Sous la lâche peur vous vous êtes alors réfugié en rampant dans un
gant,
Oubliant vite que vous étiez le si fort Thor ;
Tellement terrorisé vous étiez alors et tellement effrayé
Qu'un simple bruit ou éternuement ne se fasse entendre par Fjalar !
27 (Thor exultant de rage)
Vous n'êtes qu'une femmelette Harbarth ; Je vous enverrai d'un coup
en enfer
Si mon bras été capable de vous atteindre au-delà du glas !
28 (Harbarth rieur)
Pourquoi donc vouloir atteindre le glas alors que nous n'avons aucun
différends !
Alors quoi Thor, que faisiez-vous donc avant cette joute ?
29 (Thor menaçant)
Bien à l'Est j'étais, surveillant un fleuve alors,
Là où les fils de Svarang me cherchaient ;
Des pierres ils me jetèrent ; Une brève joie ils retirèrent de cette
victoire ;
Car une fois à leur portée ils en payèrent chèrement le prix !
Alors Harbarth, que faisiez-vous donc pendant ce combat ?
30 (Harbarth n'en a cure)*
A l'Est j'étais aussi, discutant avec certains,
Jouant à la Toile Blanche avec la Völva et la charmant ensuite par
subterfuges ;
Je l'ai alors réjoui en l'ornant d'or et à son tour s'est offerte à
mon plaisir !
31 (Thor s'inclinant)
De grandes faveurs étaient cette femme alors rencontrée.
32 (Harbarth soudain aimable)
Heureux j'aurais été alors de votre aide, Thor, pour gagner ses
faveurs plus rapidement.
33 (Thor intéressé)
J'aurais été heureux d'être là et mon aide je vous aurai offerte.
34 (Harbarth dubitatif)
J'aurai pu alors vous faire confiance si vous n'êtes point traître
en ce domaine !
35 (Thor piqué au vif)*
Je ne suis pas un va-nu-pieds de l'honneur ni une vieille chausse de
cuir au printemps !
36 (Harbarth)
Alors quoi Thor, que faisiez-vous donc avant cette aventure ?
37 (Thor en guerrier vétéran)
A l'île d'Hesley je massacrais les épouses des Berserkers ;
La plupart étaient maléfiques, et toutes avaient trahies.
38 (Harbarth écoeuré)
Votre victoire est une honte ainsi remportée sur des Femmes, Thor !
39 (Thor offusqué)
Elles n'étaient que des Louves alors et bien peu des Femmes !
A ma barque, bien affrétée sur le rivage, elles s'attaquèrent alors,
Puis par de lourdes masses de fer elles nous menacèrent, chassant
même Thjalfi ;
Alors Harbarth, que faisiez-vous donc pendant cet assaut ?
40 (Harbarth vengeur)
Dans la troupe armée j'étais qui alors s'avançait ici,
Les bannières brandies et les lances prêtent à s'empourprer de sang
!
41 (Thor ébranlé)
Affirmez-vous donc que vous soyez ainsi venu porté la haine jusqu'à
nous ?
42 (Harbarth stratège)
Un anneau échangé au doigt serait peut-être le bienvenue
Tel un juge de paix pour apaiser notre conflit.
43 (Thor dégoûté)
D'où vient un tel discours si infect et méprisant ?
Jamais avant je n'avais entendu de tels immondes propos !
44 (Harbarth narquois)*
Je l'ai appris des Hommes, de si vieux Hommes,
Qui demeurent dans la Halle d'une colline.
45 (Thor insatisfait)
Un nom plus juste vous devriez leur donner plutôt que celui d'un tas
de pierre
Au lieu d'évoquer l'obscure Halle d'une colline !
46 (Harbarth indifférent)
De ces choses ainsi je parle !
47 (Thor n'y tient plus)
Moins ardents seraient les insultes que vous avez tant de plaisir à
formuler,
Si les eaux je choisissais de traverser :
Et plus fort qu'un loup serait votre hurlement
Si j'écrasais mon marteau de guerre sur vous !
48 (Harbarth outrageant)
Sif a un amant en votre Halle, et vous devriez
plutôt le rencontrer,
Mettant ainsi votre force plus à propos quand à le défier !
49 (Thor fou de colère)
Votre langue mauvaise nuie toujours mais là elle me semble bien plus
venimeuse encore ;
Vous n'êtes qu'un pauvre d'esprit ! Vous mentez et je viens à vous !
50 (Harbarth ironique)
La vérité je dis pourtant mais trop lent vous êtes sur ce chemin,
Et bien loin d'ici vous seriez si vous aviez embarqué plus vite au
matin !
51 (Thor furieux)
Vous n'êtes qu'une femmelette Harbarth et vous m'avez fait perdre
mon temps ici !
52 (Harbarth railleur)
Je n'aurais jamais pensé qu'ainsi Asathor serait tant gêné
Sur son chemin par un simple Passeur !
53 (Thor enfin décidé)
Un seul conseil je vais donner maintenant : ramez jusqu'à cette rive
!
Plus de moqueries et faites passer le père de Magni à gué.
54 (Harbarth ferme)
Par la voie menant au glas je ne vous engagerai point !
55 (Thor plus malin)
Alors montrez-moi le chemin puisque vous ne me naviguerez point sur
les eaux.
56 (Harbarth honore la demande)*
Refuser votre requête serait un peu court alors qu'en est si long le
parcours ;
- Il y a un temps à l'action, un autre pour les pierres -
Donc prenez la route à gauche jusqu'à atteindre le Verland ;
Là Fjorgyn y retrouvera son fils Thor
Et montrera alors à son enfant la route menant au royaume d'Odin.
57 (Thor)
Pourrais-je allé si loin ce jour ?
58 (Harbarth répond)
Avec de l'ardeur et de durs épreuves à passer,
Le soleil brillera encore je pense à votre arrivée.
59 (Thor prend congé non sans rancunes)
Bref sera maintenant nos saluts, vous qui n'usez que de seules
railleries ;
Je vous ferais payer votre refus de passage si un jour nos chemins
se recroisent !
60 (Harbarth prend congé non sans une dernière bravade)*
Soit alors et allez là où chaque chose de ce monde vous apportera le
malheur !
Annexes*
4* : La mère de Thor est Jord (la Terre).
5* : Il semblerait que la strophe soit incomplète.
6* : "Les trois bâtiments" : sorte d'expression qui renvoyait à
l'image d'une ferme basique constituée du lieu d'habitation, des
granges du bétail et des entrepôts ; Donc ici Thor n'est même
pas un paysan notable !
8* : Hildolf (abattant le loup ?) – Rathsey (Île des Conseillers
?)
9* : Thor est dit en danger (Sekr) car sans protection sur la
terre des Géants.
Meili est un fils inconnu d'Odin –
14* : Hrungnir : Un Géant (cf Dictionnaire)
16-18* : Fjolvar n'est cité nulle part dans les Eddas mais doit
donc être le père des sept sœurs.
Algrön (Le-Tout-Vert) –
A noter que Thor était friand de ses histoires charnelles !
Les deux lignes – de la strophe 18 sont des images révélant
l'impossibilité aux femmes de refuser les exigences d'Odin à
moins de grandes prouesses magiques !
19* : Il semblerait que Thor s'attribue seul, ce qui est erroné,
la chute du Géant Thjazi.
Alvadi est le père de Thjazi mais aussi d'Ithi
et d'une nombreuse progéniture ayant tous exigé sa richesse
faite d'or.
20* : "celles chevauchant par nuit" : Un Kenning désignant des
sorcières qui parcouraient les terres de nuit montées sur des
Loups ! On n'en sait pas plus…
22* : Ce proverbe semblable à ceux du Havamal se retrouve
parfois dans les textes eddiques.
24* : Valland (Terre-de-Guerre ?) est en endroit mythique
mentionné dans ce seul texte.
Les Thralls étaient les Serfs/Paysans mais Thor ne les
accueillaient pas une fois morts ?!
26* : Cet épisode des périples de Thor renvoie au "Lokasenna".
29* : Le fleuve, séparant les Géants ou fils de Svarang, est
sans doute Ifing.
30* : La Volvä est un Kenning personnel et dans de nombreuses
aventures Odin rencontre souvent de tels personnages sans
mentionner leurs noms propres.
35* : Une expression certainement très ancienne et explicable
dans le contexte des écrits.
37* : Hlesey (l'Ile-de-la-Mer-Dieu) : Hler (Aegir) – Cette île
est peut-être un Kenning désignant l'île Danoise de Läsö dans le
Kattegat.
A noter que les femmes sont citées comme étant Berserkers !
39* : Thjalfi est l'homme de main de Thor.
40* : Cette strophe est obscure car elle décrit Odin comme chef
des ennemis des Dieux !
44* : Ces vieux hommes ne sont d'autres que les Morts avec qui
parlent Odin.
48* : Sif est l'épouse de Thor et son amant sans doute Loki
(Voir Lokasenna).
52* : Un des nombreux noms de Thor lors de ses voyages : Asathor
(Thor-des-Dieux ?) – Vingthor – Vingnir – Hlorrithi -
56* : La ligne 2 est une expression de l'époque pour passer à
l'action plutôt qu'à l'immobilisme. Verland est la
Terre-des-Hommes.
Fjorgyn est un autre nom de Jord - "La
Route" est en fait le pont Bifrost –
60* : Il n'est pas tout à fait certain que cette strophe maudite
soit celle d'Odin car elle est parfois attribuée également à
Thor…
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