(Le
lai de Thrym)
Le
Lai de Thrym suit dans le Codex Regius le Lokasenna.
Curieusement Snorri ne semble pas en parler dans ses Eddas.
Le
Lai de Thrym est l'un des poèmes les plus aboutis à la trame
proche de la légendaire Völuspà ! D'ailleurs il est connu également
sous la version de "la plus fine balade du monde"!
Sa
forme, sa trame, le développement de partie humoristique et la
vigueur du rythme contribue à faire du poème l'un des plus vivants
produits dans le Codex.
On ne
sait rien de l'auteur qui pourtant semble être l'un des plus
fabuleux Scalde de son époque.
Plus
incroyable encore ce texte serait daté de l'An 900, ce qui en fait
l'un des plus vieux parchemins du monde antique ! Il est dit aussi
que le Skirnirsol et les Baldrs Draumar seraient du même auteur
auquel on attribue également parfois le Lokasenna.
Détail
rare, le texte ne contient pas de prose introductrice ou
explicative, ceux-ci étant contenu dans les vers eux-mêmes, ce qui
est un phénomène unique dans les Eddas.
La
Saga
1
(Le Narrateur)*
Sauvage
et terrible fut le réveil, en cette matinée, de Vingthor
Quand il
s'aperçut que son Marteau enchanté avait disparu !
Il
s'arracha presque la barbe, ses cheveux s'en raidirent même
Et il se
mit à sa recherche, lui, le fils de Jord.
2
Entendez
maintenant la teneur de ses premiers dires :
"Ecoutez
Loki et comprenez mes paroles :
Nulle
part sur Terre il n'est rapporté qu'un Homme
Ni même
aucun Dieu dans les Cieux n'aient jamais ainsi volé notre Marteau !"
3*
Jusqu'à
la demeure de la noble Freyja les deux compères allèrent
Et, là,
Loki tint le premier ces paroles :
"Puissiez-vous Freyja me prêter votre habit de plumes
enchantées
Pour
qu'ainsi je puisse à mon tour aller chercher le Marteau ?"
4
(Freyja
inquiète)
Fragile
il semble être mais pourtant cousu de fils d'argent lumineux
Et je
vous le prêterai bien qu'il soit fait de plumes d'or…
5
(Quelques temps plus tard)*
Alors
Loki s'était envolé, les plumes de l'habit enchanté vrombissantes,
Jusqu'à
ce qu'il laisse loin derrière lui la Halle des Dieux
Et
atteigne enfin le royaume des Géants ;
Thrym,
le Maître des Géants était assis sur un monticule;
Il
tenait ses chiens par de lourdes chaînes d'or
Frottant
et caressant les crinières de ses chevaux.
6
(Thrym
aperçoit Loki)
Comment
se portent les Dieux, comment se portent les Elfes ?
Pourquoi
donc venez-vous donc ici seul sur les terres des Géants ?
7
(Loki
accusateur)
Mal se
portent les Dieux, mal se portent les Elfes !
Je vous
somme de dire l'endroit où vous avez dissimulé le Marteau d'Hlorrithi
!
8
(Thrym
propose un pacte)
J'ai
bien dissimulé le Marteau d'Hlorrithi,
Huit
miles plus bas sous de la terre !
Et aucun
homme ne le ramènera jamais
Si
Freyja en gage ne devient pas ma femme !
9
(Loki
s'en retourne)
Alors
Loki s'envola, les plumes de l'habit enchanté vrombissantes,
Jusqu'à
ce qu'il laisse loin derrière lui la Halle des Géants
Et
atteigne enfin le royaume des Dieux ;
Là, dans
la cour, il rencontra Thor
Lui
mandant alors de lui narrer ses aventures :
Avez-vous trouvez quelques indices sans qu'ils soient trop
troublants ?
De
toutes les nouvelles, du ciel, ici vous relaterez maintenant ;
Souvent
celui qui s'assied oublie son histoire
Parlant
avec des mensonges alors affaissé sur lui-même !
10
(Loki
relate les faits)
Des
indices troublants et ennuyeux j'ai malheureusement à dire :
Thrym,
le Roi des Géants, conserve le Marteau
Et sans
retour à nul homme il ne sera rapporté
Si
Freyja il n'obtint pas pour femme !
11
Freyja,
la noble Dame, ils vinrent alors trouver
Et Loki
fut le premier à lui parler :
"Revêtez-vous, Freyja, d'un voile nuptiale
Car nous
devons au plus vite rejoindre la demeure des Géants !"
12*
Freyja
se mit alors hors d'elle renâclant férocement,
Les
parois de la vaste Halle des Dieux en tremblants !
L'éclat
du puissant collier de Brising en irradiait même sa colère :
"Plus
frivole et lascive encore j'apparaîtrais alors à tous
Si je
voyageais ainsi jusqu'à la demeure des Géants !"
13
(Un
Thing est décidé)
Fort de
ces faits les Dieux se réunirent ensemble,
Les
Déesses vinrent également, pour tenir un Thing ;
Le plus
légendaire d'entre tous désira qu'un plan soit décidé
Pour
trouver le moyen de regagner le Marteau enchanté d'Hlorrithi.
14*
C'est
Heimdall, le plus lumineux des Dieux, qui parla le premier
Car,
comme les Vanes, il connaissait bien l'avenir :
"Recouvrons Thor du voile nuptiale
Et
laissons le porter le puissant collier de Brising !
Laissons
les clés du trousseau tinter à sa ceinture
Et
laissons pendre jusqu'à ses genoux cette robe de femme
Avec une
large broche de gemmes brodée sur sa poitrine ;
Enfin
couronnons sa tête par une belle houppelande !"
15*
Offensé,
Thor le Puissant apporte immédiatement son dénie :
"Tous
les Dieux me nommeront la femmelette
Si je me
laisse revêtir de ce voile nuptiale !"
16
Alors
parla Loki, le fils de Laufey :
"Gardez
le silence Thor et n'en dites pas plus ;
Sous la
seule volonté des Géants demeurera Asgard
Si le
Marteau n'est pas rapporté en cette Halle !"
17
(La
raison l'emporte…)
Alors
fut revêtu Thor du voile nuptiale
Puis
ensuite du puissant collier de Brinsing.
Les clés
du trousseau, tintant à sa ceinture, furent accrochées,
La robe
de femme fut laissée pendre jusqu'à ses genoux
Et une
large broche de gemmes fut brodée sur sa poitrine ;
Enfin
fut couronnée sa tête par une belle houppelande !"
18
Une fois
fait alors, Loki, le fils de Laufey, parla :
"En tant
que Dame de compagnie je viendrais avec vous
Et nous
deux ainsi iront rapidement jusqu'à la demeure des Géants !"
19
(Les
deux compères partent alors)*
Rapidement, des pâturages, furent amenées les chèvres jusqu'à la
Halle
Et alors
sans faire de haltes, elles coururent de toutes leurs vélocités ;
Les
montagnes tremblèrent et la Terre s'embrasa sous leurs sabots
Pendant
que le fils de Thor les conduisait à Jotunheim !
20
(Thrym
les voyant arriver)*
D'une
voix forte parla Thrym, le chef des Géants :
"Hâtez-vous Géants ! Mettez de la paille sur les bancs !
Voilà
qu'on m'apporte Freyja pour devenir ma femme,
La fille
de Njord ainsi venue de Noatum.
21
(Thrym
inspiré d'amour)
De
bétails aux cornes d'or mes étables sont pleines
Et les
plus beaux taureaux noirs m'apportent grande joie ;
Nombreux
sont les gemmes et les joyaux de ma Fortune
Mais de
Freyja seulement il manquait à mon cœur !
22
(Quelques temps plus tard)
Tôt il
était encore quand la soirée débuta
Mais
déjà la bière était brassée pour les Géants ;
Thor à
lui seul mangea un bœuf et huit saumons
Mais
aussi toutes les douceurs réservées aux femmes
Puis
enfin, le mari de Sif, bu trois tonneaux d'hydromel !
23
Surpris,
ainsi parla à mots lourds Thrym, le chef des Géants :
"Qui
aura déjà vu une jeune mariée avoir de telles profondes bouchées ?
Moi je
n'en ai jamais vu une avec une aussi large,
Ni
d'ailleurs une damoiselle qui pouvait boire autant d'hydromel que
cela !"
24
Assis à
ses côtés, la Dame de compagnie parla avec sagesse,
Répondant avec astuce aux doutes du Géant :
"Voilà
huit nuits que Freyja a jeûné de toutes nourritures,
Trop
ardent étant son désir de joindre Jotunheim !"
25*
Thrym
alors s'approcha près du voile nuptiale, désirant ardemment
embrasser sa promise,
Mais fut
repoussé en arrière de l'autre côté de la Halle croisant pourtant à
peine son regard :
"Pourquoi les yeux de Freyja sont-ils si terrifiants ?
Le feu,
je pense, brûle au fond de son regard !"
26
Assis à
ses côtés, la Dame de compagnie parla avec sagesse,
Répondant avec astuce aux doutes du Géant :
"Depuis
huit nuits Freyja n'a pu trouver le sommeil,
Trop
ardent étant son désir de joindre Jotunheim !"
27*
Bientôt
alors s'approcha la sœur malheureuse du Géant
Qui ne
craint pas de mander les devoirs nuptiaux :
"De mes
mains prenez ces anneaux d'or rouge
Si vous
êtes disposée à gagner les faveurs de votre bien-aimée.
(Et le
bien-aimé en sera alors le plus heureux)
28*
Alors
parla d'une voix forte Thrym, le chef des Géants :
"Apportez le Marteau enchanté pour sanctifier la mariée,
Sur les genoux de la Damoiselle déposez ensuite Mjollnir
Et de
nous deux Var bénira ainsi l'union !"
29
Le cœur
d'Hlorrithi se souleva de rires dans sa poitrine
Quand le
Puissant à l'âme guerrière se saisit alors de son Marteau !
En
premier il tua Thrym, le Roi des Géants,
Puis
décima tous les gens de sa cour !
Il se
retourna alors vers la vieille sœur du Géant
Qui
avait prié pour les devoirs nuptiaux ;
Un
terrible coup elle reçue, en lieu de son or brillant
Et de
ses nombreuses bagues, par la puissance du Marteau !
30*
Ainsi
fut repris Mjollnir par le fils d'Odin !
Annexes*
1* : Vingthor (Thor le hurleur ?) est un autre nom pour Thor,
assimilé aussi à Vingnir.
Jord (Terre) est la mère de Thor, Odin étant son père.
3* : La Halle de Freyja est Sessrymnir (aux nombreux bancs) dans
la région de Folkvang –
Habit de plumes : C'est un habit magique de plumes permettant de
voler… mais appelé également la "robe de faucon", il est plus
probable que cet artefact permette d'effectuer une
transformation magique en un tel rapace…
5* : Thrym (Géant du Gel), volant le marteau, serait ici une
image pour signifier l'absence d'orage (provoqué par Mjollnir)
pendant l'Hiver (personnifié par les Géants)…
12* : Le collier de Brising est un artefact fabriqué par les
Nains et donné à Freyja.
14* : Le plus lumineux des Dieux est ici Heimdall qui outre sa
fonction de gardien d'Asgard est parfois présenté comme le Dieu
de la lumière. Sa sagesse équivaudrait au fait qu'il voit de sa
vigie les Neuf Mondes – Rien n'indique ici que les Vanes aient
dons de prescience…
15* : Sans doute une ligne a été perdu dans cette strophe.
19* : Les chèvres ou boucs font référence au char de Thor tiré
par de tels animaux.
20* : Noatum : La demeure de Njord où Skadi ne pus résider alors
sa femme. (cf dico.)
25* : Le feu fait référence ici aux yeux ardents de Thor
lorsqu'il déclenche la foudre.
27* : La malheureuse Géante est peut-être un défaut du texte qui
parle ensuite de la vieille Géante…
28* : "sanctifier" : La cérémonie de mariage existait dans la
coutume Germanique et en effet un marteau bénissait ces unions
en réponse aux conversions chrétiennes de la croix –
D'ailleurs des rituels runiques utilisent ce signe du Marteau
pour favoriser l'énergie –
Var : La Déesse des Pactes et des Unions –
30* : Les différentes versions n'accordent pas toujours cette
dernière phrase et le texte originel renvoie au début d'une
strophe laissée inachevée…
|
|